Shape of Memory

Philippe Boisnard et Arnaud Courcelle

La volonté des hommes de conserver à l’infini leur mémoire visuelle et sonore est devenue une des intentions majeures de nos contemporains. Cette conservation ne se faisant plus dans des albums physiques, mais en temps réel comme cela est rendu possible avec des sites de partage d’images de photographies comme flickr ou youtube. Toutefois, toutes ces photos s’entassant en liste, à peine téléchargées, elles sont déjà prises dans la spirale de l’oubli produit par le flux de la mémorisation. Peu à peu elles se dissolvent dans les dépôts amnésiques d’internet, si elles ne sont pas régulièrement réactivées par des requêtes. Internet devenant une fosse à bitume pour la mémoire, tout s’engluant dans ses strates, son mille feuilles.
Shape_of_memory (qui est le développement sonore de Shape_of_memory) est une oeuvre générative, fonctionnant en temps réel avec le web, qui met en perspective les flux d’images et de sons selon une logique archéologique interrogeant les sédimentations et les stratifications qui les caractérise.
L’oeuvre se présente comme des formes de flux remixant des milliers d’images directement prises sur flickr et des vidéos de youtube, à partir de requêtes permises à partir de smartphone, via un site dédié, qui vont constituer la base de données de l’oeuvre. Ainsi, plus que de la simple data-représentation, il s’agit d’indexer le degré de dégradation de cette data-représentation, il s'agit de montrer sa fêlure interne qui n’est autre que son objectivité accumulative liée à l’affect, au choix des hommes. En ouvrant cette oeuvre au son, a été pensé en quel sens l'archéologie des médias pose la question de la relation entre d'un côté la mémoire sonore de la conscience (ces fameuses petites musiques qui nous hantent et qui se sont déposées en nous selon des sédimentations sémiotiques) et la manière de les récupérer. Quelle adéquation dans le processus de mémoire entre le souvenir humain et la stratification numérique ?
Shape_of_memory tout à la fois interroge le flux des données et met en perspective son instabilité, les opérations d’empilement, d’effacement, ses compositions arbitraires par réunion thématique, ses impasses. Moins une catégorie de la base de données est rappelée, plus cette base de données s’altère pour peu à peu disparaître.
Shape_of_memory se constitue alors comme un monument mémoriel de nouvelles générations, dynamiques, aussi dynamiques que l’envoi et l’oubli de toutes ces images sur le web. Il tend à plonger le spectateur dans une immersion au coeur de l’immanence de la mémoire du web.